A la mémoire de mon arrière-grand-père Marius
et de tous les hommes accourus des confins de la Terre
tombés, mutilés ou défigurés pour sauver la liberté.
L’empreinte humaine
dans la boue se déforme.
L’homme de boue espère à peine
en attendant qu’on le transforme
en lambeaux comme plus d’un
gisant à côté de lui
peut-être en héros national
selon les mots du formulaire
qu'on enverra à sa mère
et puis un jour en mémorial.
Les corbeaux à Verdun
se régalent.
L’empreinte humide
des sanglots
que nul n’entendra jamais
à Londres ou à Sarajevo,
à Grasse, à Vienne, au Dahomey
disparait sourde et liquide
dans la tourbe et dans l’eau glacée.
L’empreinte forcée
du cortège
qui monte sur la Voie Sacrée
retrace l’odieux sacrilège
Adieu vie, et toi que j’aimais
ma mère, mon frère, ma fiancée.
Les blessés croisent la jeunesse
de ceux qui montent vers l’affront
la mort est déjà sur leur front
chaque homme devient sa propre messe
de l’Absurde on construit le vitrail.
On se presse dans les deux sens,
sans cesse il faut qu’on ravitaille
en hommes, chevaux et victuailles
la mort qui tue à contre-sens.
L'enfer ripaille comme un chancre
les visages, les cœurs, les entrailles
tombent dans la furie de son ventre
la terre est tant gavée qu’elle en devrait vomir.
Chaque heure on prie pour en finir
ne serait-ce que le temps d'un songe
mais on n'entend que des mensonges.
Au front les nouvelles se déforment
rien n’est plus sûr que ces blessures
dans les vapeurs de chloroforme.
L’empreinte acide au soir
du plus grand fratricide de l’Histoire
couvre la terre de sang et de dégoût.
Dites-nous, dites-nous charognards:
l’innocence avait-elle vraiment
meilleur goût ?