Marie Malherbe

CENTENAIRE DE LA PAIX FRAGILE

L’empreinte humaine
dans la boue se déforme.
L’homme de boue espère à peine
en attendant qu’on le transforme
en lambeaux comme plus d’un
gisant à côté de lui
peut-être en héros national
selon les mots du formulaire
qu'on enverra à sa mère
et puis un jour en mémorial.
Les corbeaux à Verdun
se régalent.

L’empreinte humide
des sanglots
que nul n’entendra jamais
à Londres ou à Sarajevo,
à Grasse, à Vienne, au Dahomey
disparait sourde et liquide
dans la tourbe et dans l’eau glacée.

L’empreinte forcée
du cortège
qui monte sur la Voie Sacrée
retrace l’odieux sacrilège
Adieu vie, et toi que j’aimais
ma mère, mon frère, ma fiancée.

Les blessés croisent la jeunesse
de ceux qui montent vers l’affront
la mort est déjà sur leur front
chaque homme devient sa propre messe
de l’Absurde on construit le vitrail.

On se presse dans les deux sens,
sans cesse il faut qu’on ravitaille
en hommes, chevaux et victuailles
la mort qui tue à contre-sens.
L'enfer ripaille comme un chancre
les visages, les cœurs, les entrailles
tombent dans la furie de son ventre
la terre est tant gavée qu’elle en devrait vomir.

Chaque heure on prie pour en finir
ne serait-ce que le temps d'un songe
mais on n'entend que des mensonges.
Au front les nouvelles se déforment
rien n’est plus sûr que ces blessures
dans les vapeurs de chloroforme.

L’empreinte acide au soir
du plus grand fratricide de l’Histoire
couvre la terre de sang et de dégoût.
Dites-nous, dites-nous charognards:
la jeunesse avait-elle vraiment
meilleur goût ?
                                            * La Guerre ou la Grosse Bertha *                                           A la mémoire de mon arrière-grand-père Marius (1890-1914)

et de tous les hommes accourus des confins de la Terre 
tombés, mutilés ou défigurés par la folie des guerres
                                Venise, Campo del Ghetto Nuovo, 30 juillet 2016                                                                                                                                                                                                  (Réflexion sur le 'Marchand de Venise' dirigé par Karin Coonrod                        pour les 500 ans du Ghetto et 400 ans de la mort de Shakespeare)
A MIDSUMMER NIGHT'S SCREAM 
Un Cri dans le Ghetto


Le Ghetto ce soir est de sortie.
Sortie étrange, à l'envers, vers l'intérieur de son histoire.
Les gradins en barres métalliques
dessinent des cercles concentriques
comme un cosmos
en révolution
dans la prison de sa mémoire.
Au milieu du ghetto la place;
au milieu de la place la scène;
au milieu de la scène le puits
rond lui aussi
comme le temps qui s'apprête à tourner
autour des lumières, des arbres et des mots.
 
Tout commence comme un plaisant divertissement d'été
pour public instruit comme il faut.
Fébrilité de l'avant-fête
sur les dalles antiques où résonnent
les bottes des carabiniers et les talons italiens
des élégantes. On se pâme, on parle, on soupire
en attendant Shakespeare.
Cigales excitées et buveurs bavards
continuent leur sérénade tandis que gesticulent
en préambule
des saltimbanques d'un autre temps.
 
Puis au milieu des synagogues, des jeux d'enfants et des maisons
la trompette d'un homme en noir
emplit le ciel comme un chophar
-a-t-on sonné l'heure du Pardon ?
 
Les badauds interdits s'arrêtent
pour déguster quelques bons vers
suspendus à la nuit dense,
on regarde encore quelques danses...
quand tout à coup
jaillit de la nuit
le CRI.
 
On te croyait d'une autre époque
mais tu pleures encore Shylock ?
 
Hurle sauvage, sanglot terrible,
râle total et viscéral
à faire tordre les muscles des pierres
et la chair torturée des maisons 
qui en rond
gardaient les trous de mémoire.
Aboi qui déchire l'histoire;
qui fouille dans les entrailles
de ces trop fameuses murailles;
qui tonitrue et puis se tait.
 
Silence nouveau
sur le campo
léger comme après l'orage...
Accouché du fond des âges
le ghetto a crié son Nom.
 
Les corps qui bougent,
les lumières rouges
tout s'accélère et la spirale
s'inverse
enfin ce soir on peut sortir
des bourreaux et des martyrs,
car le procès n'est pas fini
et son nom est MERCY.
 
Mercy !
Merci
Colombari
par votre farce libératrice
le ghetto crie ses cicatrices
et marche vers sa guérison.

De l'éloquence - ARLEQUIN ET PIERROT


à tous les chercheurs
doux et humbles de cœur


Le premier a des couleurs

plein son beamer ;

intarissable orateur

il jargonne fort,

jonglant sans effort

de blague surfaite

en sourire colgate

tonique et glacial

de commercial.

Il ment, il vend, il s’endort

fier de sa bouche d’or.


 Pendant ce temps le second veille

concentré, silencieux, il médite

sur un tout petit détail

qui le tracasse ou l’émerveille

un doute permanent l'habite

au fond de sa nuit il bataille

au clair de la lune il refait

tout son plan

il se présente un peu défait

son power-point en noir et blanc

n’est pas parfait...

mais qu’importe :

il livre

ce qu’ignorent encore tous les livres

il apporte
des profondeurs de sa nuit

une idée neuve, géniale, inouïe

un peu étrange 

qui enchante autant qu'elle dérange.


 


 





Solaire, en cravate orange

Arlequin entre en scène : on se pousse

il brille, on le félicite

il épate avec son site 

il connait bien l'art de la mousse

on ne sait pas trop ce qu'il dit 

mais il plaît et on applaudit.


Pierrot s'avance à la lueur
d'un vague rétroprojecteur
entre deux ombres il disparaît
dans l'épure d'un manteau lunaire
de chercheur,
qu'il pourrait
arborer crânement ; au contraire
il s’en fait
une bure d’humilité

au micro il faut qu'on le pousse
sa voix se fait encore plus douce
il se reprend, hésite, on dirait
presque qu’il s’excuse d'ainsi servir
la vérité
sans rien dire


d’autre,
sans scories de rhétorique
son art à lui est la physique
et son éloquence est tout autre.


Il parle tout bas,
il n’a rien à vendre
il aime comprendre
les lois d’ici-bas



et puis se taire
quand point le mystère
-si mystère il y a.

 


Créé avec Artmajeur