De l'éloquence - ARLEQUIN ET PIERROT
Le premier a des couleurs
plein son beamer ;
intarissable orateur
il jargonne fort,
jonglant sans effort
de blague surfaite
en sourire colgate
tonique et glacial
de commercial.
Il ment, il vend, il s’endort
fier de sa bouche d’or.
Pendant ce temps le second veille
concentré, silencieux, il médite
sur un tout petit détail
qui le tracasse ou l’émerveille
un doute permanent l'habite
au fond de sa nuit il bataille
au clair de la lune il refait
tout son plan
il se présente un peu défait
son power-point en noir et blanc
n’est pas parfait...
mais qu’importe :
il livre
ce qu’ignorent encore tous les livres
une idée neuve, géniale, inouïe
un peu étrange
qui enchante autant qu'elle dérange.
Solaire, en cravate orange
Arlequin entre en scène : on se pousse
il brille, on le félicite
il épate avec son site
il connait bien l'art de la mousse
on ne sait pas trop ce qu'il dit
mais il plaît et on applaudit.
Pierrot s'avance à la lueur
d'un vague rétroprojecteur
entre deux ombres il disparaît
dans l'épure d'un manteau lunaire
de chercheur,
qu'il pourrait
arborer crânement ; au contraire
il s’en fait
une bure d’humilité
au micro il faut qu'on le pousse
sa voix se fait encore plus douce
il se reprend, hésite, on dirait
presque qu’il s’excuse d'ainsi servir
la vérité
sans rien dire
d’autre,
sans scories de rhétorique
son art à lui est la physique
et son éloquence est tout autre.
Il parle tout bas,
il n’a rien à vendre
il aime comprendre
les lois d’ici-bas
et puis se taire
quand point le mystère
-si mystère il y a.