Ajouté le 30 juil. 2016
(Réflexion sur le 'Marchand de Venise' dirigé par Karin Coonrod pour les 500 ans du Ghetto et 400 ans de la mort de Shakespeare)
Le Ghetto ce soir est de sortie.
Sortie étrange, à l'envers, vers l'intérieur de son histoire.
Les gradins en barres métalliques
dessinent des cercles concentriques
comme un cosmos
en révolution
dans la prison de sa mémoire.
Au milieu du ghetto la place;
au milieu de la place la scène;
au milieu de la scène le puits
rond lui aussi
comme le temps qui s'apprête à tourner
autour des lumières, des arbres et des mots.
Tout commence comme un plaisant divertissement d'été
pour public instruit comme il faut.
Fébrilité de l'avant-fête
sur les dalles antiques où résonnent
les bottes des carabiniers et les talons italiens
des élégantes. On se pâme, on parle, on soupire
en attendant Shakespeare.
Cigales excitées et buveurs bavards
continuent leur sérénade tandis que gesticulent
en préambule
des saltimbanques d'un autre temps.
Puis au milieu des synagogues, des jeux d'enfants et des maisons
la trompette d'un homme en noir
emplit le ciel comme un chophar
-a-t-on sonné l'heure du Pardon ?
Les badauds interdits s'arrêtent
pour déguster quelques bons vers
suspendus à la nuit dense,
on regarde encore quelques danses...
quand tout à coup
jaillit de la nuit
le CRI.
On te croyait d'une autre époque
mais tu pleures encore Shylock ?
Hurle sauvage, sanglot terrible,
râle total et viscéral
à faire tordre les muscles des pierres
et la chair torturée des maisons
qui en rond
gardaient les trous de mémoire.
Aboi qui déchire l'histoire;
qui fouille dans les entrailles
de ces trop fameuses murailles;
qui tonitrue et puis se tait.
Silence nouveau
sur le campo
léger comme après l'orage...
Accouché du fond des âges
le ghetto a crié son Nom.
Les corps qui bougent,
les lumières rouges
tout s'accélère et la spirale
s'inverse
enfin ce soir on peut sortir
des bourreaux et des martyrs,
car le procès n'est pas fini
et son nom est MERCY.
Mercy Merci
Colombari
par votre farce libératrice
le ghetto crie ses cicatrices
et marche vers sa guérison.
Marie Malherbe, Venise, 30 juillet 2016